Boétie - "Discours de la servitude volontaire"

Publié le par REM

Boétie - "Discours de la servitude volontaire"
La Boétie, Discours de la servitude volontaire (1553), Ed. Plon, pp. 174- 175 et 181) - commenté par Armand Mamy-Rahaga

Résumé

L’idée centrale est que le tyran s’étiole quand le peuple cesse de le nourrir, de nourrir son pouvoir. Point n’est besoin de le combattre frontalement, positivement. Il suffit de ne pas lui apporter sa collaboration, rester dans le négatif, dans la passivité, bref la résistance passive. Le problème est que l’asservi se trouve des raisons pour collaborer à son propre asservissement. La Boétie compare la tyrannie à un incendie qui embrase tout mais qui s’éteint fatalement quand le combustible vient à manquer. Il s’étonne, et c’est peu dire, du contraste entre la facilité avec laquelle on peut venir à bout de la tyrannie et la difficulté des peuples à s’en détacher alors que la liberté semble bien être ce qu’il y a de plus désirable dans la vie.

Citations

« Si pour avoir la liberté, il ne faut que la désirer ; s’il suffit pour cela que du vouloir, se trouvera-t-il une nation au monde qui croie la payer trop cher par un simple souhait ? »

« Certes, ainsi que le feu d’une étincelle devient grand et toujours se renforce, et plus il trouve de bois à brûler, plus il en dévore, mais se consume et finit par s’éteindre de lui-même quand on cesse de l’alimenter … »

« […] plus les tyrans pillent, plus ils exigent ; plus ils ruinent et détruisent, plus on leur fournit […] mais si on ne leur donne rien, si on ne leur obéit point ; sans les combattre, sans les frapper, ils demeurent nus et défaits »

« C’est le peuple qui s’assujettit et se coupe la gorge : qui, pouvant choisir d’être libre, repousse la liberté et prend le joug… »

Critique en référence à la conjoncture malgache.

La Boétie était cet ami dont Montaigne disait à l’occasion de son décès : « Habitué à être second partout, je ne me sens plus qu’à moitié ». Ce texte ancien pourrait être dépassé et démodé or il est plus que jamais d’actualité ; la pensée se situe par-delà l’emprise de l’âge il faut bien le reconnaître.

Par-delà le temps et la distance, La Boétie, miracle de la pensée, rejoint le « non-agir » taoïste et la non-violence de Gandhi ou de Martin Luther King. Il nous explique avec simplicité l’efficacité positive, contre la tyrannie, de la simple résistance passive.

L’asservissement dont disserte La Boétie s’accompagne forcément d’un style de gouvernance qui le pérennise en l’organisant en conséquence. L’organisation de cette gouvernance mériterait une étude approfondie et détaillée. Cette organisation trouve complicité dans l’asservissement volontaire. Elle crée ainsi un système auto-organisateur qui se nourrit directement dans le milieu social qui l’enveloppe. Edgar Morin parle de système auto-éco-organisatrice, le propre du vivant. C’est effectivement un système vivant qui est créé. Dans ce système les effets produisent les causes qui les produisent, c’est son mécanisme de pérennisation que les spécialistes de notre temps appelle : « la récursion organisationnelle ».

C’est ainsi qu’on peut avoir l’impression que ce genre de système est immortel et invincible, le fameux système contre lequel le bas peuple se sent impuissant. La Boétie soutient le contraire. Pour lui, il n’est rien de plus fragile que le pouvoir. Effectivement, comme dans tout organisme vivant, vient le moment où des dérèglements se manifestent, l’organisme périclite (on dit qu’il est malade) et meurt.

La maladie de l’organisme est ce qu’on appelle « une crise » comme ce qui se passe actuellement dans notre pays. Généralement, la crise en tant que pathologie, est perçue comme négative mais il faut garder à l’esprit qu’elle est en même temps une opportunité, une occasion de passer à autre chose. Bien entendu la gouvernance en crise peut renaître de ses cendres et les mêmes causes se remettront à produire les mêmes effets, le cycle de l’éternel retour. Mais, de nouvelles causes pourraient entrer par la faille de la crise et auto-éco-organiser la production durable de nouveaux effets… Il suffit de les introduire dans le système comme un virus informatique. Pour La Boétie ce virus c’est la résistance passive. Il ne prétend pas que c’est un remède universel, il dit seulement que ça marche contre la tyrannie. Le refus peut ainsi devenir un acte politique positif.

C’est à cette occasion, entre autres, que La Boétie dénonce la déconcertante connivence des asservis avec le pouvoir alors qu’il il est si facile de changer les choses, de recouvrer la liberté ; mais les gens en ont-ils un réel désir ? Ils repoussent la liberté et reprennent le joug dit La Boétie. Si nous nous penchons sur notre histoire proche la réponse à cette question est : non. Personnellement je vois une explication dans le syndrome courant du "petit tyran" : le petit tyran au bas de l’échelle veut pouvoir être le tyran de son chien ou de son chat. Pour cela, il est prêt à accepter que son chef le tyrannise, chef qui lui est le tyrannisé volontaire de son supérieur hiérarchique...

C’est la société toute entière qui est bâtie sur le modèle de la tyrannie. Changer cela c’est refonder le modèle, refonder l’être malagasy en l’occurence. Le besoin de tyrannie (qui remonte à l’époque des corvées) doit être remplacé par d’autres valeurs comme par exemple la solidarité et/ou la non-violence. Dans la culture malgache le « fihavanana », le « fifanampina », le « hasina », le « fanahy », le « fady » et le « haja », entre autres pourraient être revisités et réactivés dans notre modernité, et non gardé dans cet côté mémoriel poussiéreux, fangeux, inerte et détestable de la langue de bois coutumière.

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