Vous avez dit développement durable?

Publié le par REM

Vous avez dit développement durable?

Professeur Raoelina Andriambololona sur le développement durable
(Rapporté par Patricia Vasquez)

Si nous considérons la situation actuelle de Madagascar, il a été souvent reconnu – et nous devons l’admettre – que les systèmes de développement expérimentés dans notre pays depuis l’indépendance jusqu’à maintenant se sont soldés par des échecs.

Ces échecs sont sans doute imputables aux premiers responsables – les gouvernements qui se sont succédé et leurs techniciens – qui n’ont pas su ou pu résister aux conditionnalités et pressions exercées par les Bailleurs de fonds. Mais nous tenons ces derniers pour les véritables auteurs de l’état de non-développement sinon de misère que nous connaissons en favorisant l’assistance et la dépendance, contraire aux intérêts profonds du pays.

Il s’avère dès lors que persister dans la voie suivie jusqu’ici relèverait d’une inconscience criminelle et qu’en conséquence, il est nécessaire de chercher une autre voie: un autre développement pour Madagascar, conçu par les Malgaches eux-mêmes et pour les Malgaches. Cette recherche répond à un sentiment patriotique authentique, résistant aux passions limitatives du nationalisme et son corollaire la xénophobie.

Il s’agit de trouver une nouvelle définition du développement plus efficace et plus adapté à notre pays; il s’agit de protéger nos intérêts et de se poser en partenaires face aux autres. De même dans le même livre, Joseph E. STIGLITZ dénonce les modèles de développement exogène, imposé de l’extérieur, et fait la remarque suivante concernant le cas de la Russie et de la Chine.

«La mondialisation et l’introduction d’une économie de marché n’ont pas produit les effets promis en Russie, ni dans la plupart des autres économies engagées dans la transition du communisme au marché. L’Occident avait dit à ces pays que le nouveau système économique allait leur apporter une opulence sans précédent. Il leur a apporté une pauvreté sans précédent. A bien des égards, et pour la grande majorité des habitants, l’économie de marché s’est révélée encore pire que leurs dirigeants communistes ne l’avaient prédit.

On ne saurait concevoir plus frappant contraste qu’entre la transition de la Russie, mise en œuvre par les institutions économiques internationales, et celle de la Chine conçue par elle-même. En 1990, le PIB de la Chine représentait 60% de celui de la Russie. Dix ans plus tard, c’est l’inverse. La pauvreté a considérablement augmenté en Russie, considérablement diminué en Chine.

«Pour nous, développement ne peut être que la formule abrégée pour développement de l’homme dans sa dignité d’homme, c’est-à-dire, le développement est la recherche, l’assurance, la préservation, la création de toutes les conditions de l’épanouissement physique, intellectuel et moral de tout homme en tant qu’être humain». Pour ce faire, cinq besoins fondamentaux doivent être satisfaits impérativement : 1) la nourriture, 2) le logement, 3) le vêtement, 4) la santé, 5) l’éducation. Tout processus qui y contreviendrait ne serait que mystification. Il faut ajouter toutefois que la satisfaction de ces besoins fondamentaux est préliminaire mais non restrictive. Sont tout aussi humainement signifiants les droits et libertés démocratiques ou le droit d’avoir des droits pour exister en tant qu’être humain. Autrement dit, le développement ne peut se définir objectivement que comme un processus d’humanisation de l’homme par l’homme.

Tout ce qui contrevient au développement de l’homme est alors défini comme pollution. Ainsi, la pauvreté est une forme de pollution de l’environnement. Il existe une pollution atmosphérique, mais aussi une pollution culturelle, morale, spirituelle. Malheureusement, le contexte actuel nous en offre de multiples exemples allant de la misère endémique jusqu’à la prolifération des sectes en passant par l’ignorance, la profanation des tombeaux, la corruption, et j’en passe.

Le développement social est inséparable du développement économique. L’économie toute seule n’entraîne par forcement un développement social, à moins d’être orientée, dès le départ, dans le sens d’une promotion humaine véritable et ce, dans un espace politiquement libre. Le développement humain concerne aussi bien l’être individuel que l’homme en tant que membre d’une société, d’une nation mais aussi appartenant à ce «village planétaire» qui est la Terre. Ce développement endogène se construit de l’intérieur, à partir des besoins du peuple, ne comptant que sur ses propres forces d’abord (national self-reliance ou autosuffisance nationale) pour ensuite s’ouvrir vers l’extérieur pour que puisse exister un monde de justice et de paix.

C’est dire que la notion de développement n’est pas nouvelle. Mais ce qui est nouveau, c’est la prise de conscience de ce qu’elle implique ainsi que la prégnance, la prévalence qu’elle acquiert autant dans les discours politiques que dans les pratiques citoyennes. En fait, parler de «développement durable» pourrait constituer un véritable pléonasme s’il n’avait été nécessaire d’apporter des précisions pour contrer les malentendus, voire les erreurs qu’un modèle trop étroit du développement à l’occidentale a contribué et continue à entretenir. De fait, l’adjectif original «sustainable» dans «sustainable development» a été traduit en français par «durable», parfois par «soutenu», «soutenable», «pérenne». Le déterminant souligne ainsi une exigence particulière de cohérence.

L’expression «développement durable» qualifierait alors le plus souvent un développement qui respecte simultanément (et cet adverbe est important!…) au moins les trois critères suivants:1) la finalité sociale, 2) la prudence écologique, 3) l’efficacité économique. Sur ce trépied repose un ensemble de règles exigeant une bonne gouvernance comme démarche en faveur du développement durable. Dans ce contexte, la science dans son extension la plus large recouvrant aussi bien les sciences physico-chimiques, les sciences de la terre et de la vie que les sciences humaines et morales, la science doit remplir pleinement sa triple fonction de connaissance, de base pour la mise en œuvre de moyens techniques et d’éducation.

En tant que connaissance, la science est déjà une transformation et une élévation de la conscience que nous prenons des réalités qui définissent notre être et notre environnement. En tant que base nécessaire de la mise en œuvre technique des moyens d’intervention sur ces réalités, la techno-science ne peut être ni neutre, ni innocente dans la transformation de l’environnement pour la réalisation des objectifs que l’homme se fixe.

Aussi la techno-science, aussi prometteuse et indispensable soit-elle, ne peut servir à un développement durable qu’à la condition expresse d’être une structure d’éducation.
En effet, la techno-science doit permettre de faire de l’homme un être humain, en le civilisant et en lui permettant d’être responsable de sa destinée.
La techno-science, de ce fait, n’est pas l’apanage des spécialistes – les savants et les techniciens supérieurs – elle est un droit fondamental de tout être humain. A travers la scolarisation, obligatoire et bien pensée, elle est un paramètre déterminant dans l’éducation à la citoyenneté participative

Ainsi, le développement durable, au-delà de sa forme politique et de sa valeur socio-économique, prend alors une dimension essentiellement éthique dont nous donnons les sept principes fondamentaux suivants :

1) Principe de précaution, pour éviter les risques de dégradation irréversible. Le développement rapide s’il ne répond qu’à des urgences peut induire des effets secondaires préjudiciables au développement durable.

2) Principe de prévention. On répète que «gouverner c’est prévoir» ou qu’ «il vaut mieux prévenir que guérir». Savoir et pouvoir imaginer, sur le moyen et le long terme, les impacts de nos choix actuels nous préservent de la démagogie, de l’opportunisme et des échecs.

3) Principe de gestion sobre et économe, autrement dit répondre à la nécessité d’une rentabilisation optimale et équilibrée des ressources naturelles, financières et humaines,

4) Principe de responsabilité, par lequel non seulement on doit pouvoir exiger que «les pollueurs soient les payeurs» que «celui qui dégrade doive être sanctionné et soumis à réparation»; mais, plus positivement, cette responsabilité fait appel aux connaissances et à l’engagement libre dans un souci d’excellence.

5) Principe de participation, ce que nous venons de dire signifie que tous, sans exception, sont concernés; dirigeants et citoyens sont tous décideurs et acteurs bénéficiaires et victimes réels ou potentiels à la fois.

6) Principe de solidarité, car nul ne peut se développer tout seul. Cette solidarité n’est autre que l’expression du sens que nous avons de notre appartenance à l’humanité. Elle peut se définir horizontalement, comme le lien qui nous unit à tous nos contemporains aux niveaux local, régional, national ou/et mondial, ou bien se définir verticalement comme le lien entre les générations passées, présentes et futures.

7) Enfin, le principe de recherche permanente et innovatrice qui d’une part, intègre la référence au passé sans s’en contenter ni s’y asservir et d’autre part, doit être ouverte au progrès sans tomber dans la facilité d’une imitation aveugle de tout ce qui vient de l’extérieur.

Avec ces sept principes qui se résument dans le respect de la dignité d’homme, nous sommes donc amplement justifiés de considérer que le développement durable est fondamentalement éthique.
Vous aurez compris que cette définition est redondante par rapport à celle du développement. Insistons, cependant, en rappelant que si l’environnement est «tout ce qui est autour», pour l’homme, l’environnement est l’ensemble des conditions matérielles, physiques, économiques, politiques mais aussi sociales, morales, intellectuelles et spirituelles de son existence.

Il peut donc y avoir un environnement favorable ou un environnement défavorable à la promotion de la dignité humaine par laquelle nous avons défini le développement. L’environnement ne se réduit pas à la faune et à la flore, c’est-à-dire à la biodiversité, toutes les conditions orographiques et culturelles y contribuent.

On a pu souligner ici même qu’une acception trop restreinte de l’environnement, réduit à la nature dont on a abstrait l’homme, peut être en opposition avec le développement conçu comme exploitation inconsidérée aux fins égoïstes de l’homme. Le risque existe effectivement compte tenu des erreurs de conception et du non-respect des principes éthiques fondant le développement que nous avons mentionnés ci-dessous.

Dieu merci, dirions-nous, les milieux scientifiques et politiques commencent à rectifier l’erreur pour accepter le concept d’un environnement centré sur l’homme, ou anthropocentré qui part de l’homme, revient à l’homme et le définit comme acteur sinon auteur de sa destinée.
La solution de l’adéquation développement - environnement est l’éducation de l’Homme.
L’homme est le centre de cet espace où il peut, de son propre fait, soit s’épanouir par un développement durable soit se détruire par une mauvaise gestion ou une mauvaise gouvernance. Si l’homme disparaissait le problème du développement et de l’environnement disparaîtrait avec lui.

Mais entre la vision apocalyptique annonçant l’auto-destruction de l’homme, quelque qu’en serait le moyen, et la vision béate et irresponsable de la mère-nature généreuse ou du bon sauvage, il y a place pour un réalisme optimiste dont nous faisons notre credo. Sans complaisance, nous croyons l’homme capable de reconnaître et de redresser ses erreurs et ses torts, capable aussi de maîtriser les conditions de son existence dans un contexte de tolérance, de justice et de paix.

De façon générale, on avait considéré l’environnement à travers les équilibres naturels mis en péril par les activités humaines à tous les niveaux: mondial, transnational, national et local.
De même, dans le cadre du développement durable, il n’est souvent vu que sous le double aspect des ressources et des pollutions :
- les ressources locales : la biodiversité, la forêt et l’eau,
- les milieux spécifiques : montagnes, îles, océans et mers,
- les problèmes mondiaux : couche d’ozone, climat, énergie,
- les déséquilibres locaux : désertification, déboisement, érosion des sols,
- les pollutions transfrontières atmosphériques,
- les pollutions locales: déchets, air, produits toxiques.
Les problématiques environnementales sont encore souvent traitées de façon isolée alors qu’elles sont en fait largement interdépendantes, relevant d’une pluridisciplinarité voire, permettez-moi le mot, d’une omnidisciplinarité. Et c’est cette interdépendance qui complique leurs études en augmentant le nombre des indicateurs de développement durable.

Aussi, serait-il opportun, nécessaire et même urgent de créer une «Commission Nationale Malgache de développement durable»
Cette commission aura pour tâche en autres :
1) de définir ce que les mots: «développement, développement durable, développement rapide, environnement, pollution signifient pour nous malgaches,
2) à partir de ces définitions de lutter contre tout ce qui menace la dignité humaine, d’attaquer le problème du sous-développement en particulier de trouver une nouvelle stratégie (et j’insiste sur l’adjectif nouvelle) pour la croissance et la réduction de la pauvreté.
3) de fixer les indicateurs correspondants de développement durable et rapide pour Madagascar,
4) de viser le développement rapide et durable dans tous les secteurs sociaux et économiques: éducation, transports, énergie, agriculture, élevage, alimentation, santé, eau, air, tourisme etc…

Cette Commission doit être une structure de concertation, de coordination, de contrôle, d’évaluation et de promotion des activités pour un développement durable et un environnement humanisant. La mise en œuvre de cette commission est non seulement
un atout décisif de l’efficacité: l’information en est un paramètre nécessaire mais non suffisant;
mais cela représente, en soi, une révolution culturelle, un tournant à 180° par rapport à notre histoire récente ou ancienne.

En effet, elle suppose un changement radical dans les façons de travailler par la mise en place d’un réseau multisectoriel pour la résolution des problèmes socio-économiques immédiats ou à plus ou moins long terme, une conversion des mentalités par laquelle chacun en tant que citoyen participe organiquement à son bien-être personnel et à l’intérêt général selon ses capacités et compétences. Tous y sont concernés en partant des dirigeants et des savants jusqu’au plus petit écolier en passant par tous les acteurs et les composantes de la Société Civile.

Publié dans Ecologie

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