Refonder l'Être Malagasy

Publié le par REM

Refonder l'Être Malagasy

par Raint Si.


Et si tous ceux qui ont eu en main la destinée de ce pays depuis un demi-siècle ont été les pauvres victimes d’un même mal dont ils n’avaient, et n’ont même pas conscience ? Un mal dont on perçoit les signes avant coureurs chez ceux qui aspirent au pouvoir aujourd’hui avec véhémence, quelques soient leurs promesses d’instaurer la vraie démocratie cette fois ci ! Un mal dont, depuis l’indépendance il y cinquante ans bientôt, les éruptions de fièvre ont eu lieu les 01 avril 71, le 13 mai 1972, le 10 août 1991, le 7 février 2009. Ces dates marquent les moments où la foule, forte de ses convictions par ailleurs, a servi de chair à canon des errances politiques. On dit que dans les pages de l’Histoire le sang sèche vite. Il n’empêche. Entre ces dates, la foule est tour à tour pondeuse de votes ou vache à lait corvéable. C’est un mal chronique dont les étapes consistent aussi  à amadouer les campagnards pour se faire élire et à manipuler les citadins pour destituer. Ce mal embrouille la vision et fait appeler démocratie « l’alternance manivelle » dont les retours font très mal et laisse des bleus durables à force d’avoir remonté à fond les ressorts de la haine et des rancœurs.

 

Quel est ce mal pernicieux auquel nous avons fini par nous adapter et dont nous payons de manière cyclique la facture dès que les « grands d’ici et du monde » décident de régler leurs comptes ? Ce mal c’est la décolonisation inachevée. Ce mal est dans nos têtes, dans nos cœurs, dans nos actes et notre univers.    

La décolonisation inachevée

Le transfert de souveraineté de la puissance coloniale à la puissance nationale il y a cinquante ans n’a pas suffi pour dire que nous sommes décolonisés. Pendant cinquante ans nous n’avons fait que reproduire, à quelques nuances insignifiantes près, avec beaucoup de verbiages, d’artifices et d’incantations, les mécanismes qui nous ont asservis pendant soixante quatre années avant l’indépendance. La colonisation c’est la confiscation de la parole, du pouvoir, des moyens de production, des bénéfices de la croissance. C’est la négation des droits légitimes de l’autre par celui qui a le pouvoir. Dans les pires formes c’est le droit à la prédation sans vergogne pour soi, le bagne et la déportation pour l’autre. A des degrés différents, avec des arguments variés, et après avoir fait illusion pendant plus ou moins longtemps (à l’exception d’une trop courte période qui s’est achevée avec un assassinat politique au milieu des années 70) les groupes arrivés au pouvoir depuis l’indépendance sont tous tombés dans la logique de confiscation. Chaque groupe dirigeant a juste pris la place du colon. Relire si besoin Frantz Fanon, Aimé Césaire. C’est cette logique de confiscation qui rend sourd tout pouvoir, mène au despotisme, aboutit à la prédation éhontée, produit la misère pour mieux acheter les consciences ensuite. Le mal est dans le système global qui nous a gouvernés depuis plus d’un siècle. Avec le temps il s’est incrusté dans nos pensées et empoisonne notre culture. C’est en nous, en régénérant notre vision du « vivre ensemble » que nous instillerons le remède.

On parle de déficit démocratique, d’absence de véritable projet de société, d’une nécessaire révision de la constitution, d’un nouveau code électoral, d’un code de la communication, d’une éthique républicaine à instaurer, etc. Tout cela est vrai, parfaitement fondé. Mais il faut surtout donner du sens à tous les changements qui doivent être mis en œuvre à l’aide de ces outils. Et puisqu’on a parlé de confiscation pour résumer le mal, parlons de son contraire pour définir le remède. Parlons de redistribution. 

 

Redistribuer la parole

C’est reconquérir et régénérer la liberté d’opinion, d’expression. C’est aussi se donner la chance de pouvoir écouter, entendre et comprendre l’autre, se joindre ou s’opposer librement à sa pensée pour créer les courants porteurs d’une véritable opinion publique. Ne pas avoir peur de dire et de s’enrichir de la confrontation des idées. C’est jouir de la diversité d’un paysage médiatique mature, sans compromission ni hystérie sectaire, responsable et structurant. C’est pouvoir amener, à travers le jeu des élections libres,  le message  de la conscience collective au sein des institutions de la République. Là, on pourra parler de peuple et non plus de foule. La foule crie, vocifère et peut, le cas échéant, recharger d’adrénaline la rhétorique infantilisante des manipulateurs en manque de vision. Bien sûr que 20 000 personnes laminées par un quotidien de précarité, abruties de chaleur, chauffées à blanc par les harangues populistes représentent une force de frappe impressionnante, voire kamikaze, une fois lâchées dans la rue. Mais çà n’est pas le peuple, c’est la foule avec tout le respect qu’on lui doit ne serait-ce que pour les malheurs qu’il a accumulés. Le peuple lui, s’exprime à  travers ses élus, pas forcément du même avis, pour donner du sens, donner vie à un rêve partagé par le plus grand nombre, contrôler et sanctionner si besoin celles et ceux qu’il a mandatés pour bâtir. Le débat doit devenir un outil normal de la redistribution de la parole, qui est déjà pouvoir. Il faut se garder de penser que le débat est une perte de temps. Au contraire, sauf que le véritable débat doit aboutir à des décisions assorties d’échéances. Il alimente dès lors l’avancée démocratique. C’est en partie faute d’un véritable débat que nous avons gâché un demi-siècle d’indépendance.

 

Redistribuer le pouvoir

Si l’Etat malgache veut vraiment puiser dans le génie créateur de son peuple l’énergie nécessaire à une version moderne du développement, il peut trouver dans le Fokonolona une opportunité historique  pour faire décoller l’ensemble du pays. Est-il besoin de rappeler qu’ avant d’être une structure administrative le Fokonolona est d’abord une référence socioculturelle multiséculaire  adossée à une logique de valeurs au cœur desquelles se trouvent l’équité et la solidarité ?  La manière dont le pouvoir peut être redistribué dans les rouages intermédiaires de l’administration de l’espace malgache reste à débattre mais ce qui importe c’est le lien vivant, créatif et sans cesse renouvelé  entre la vision fédératrice, équitable et incitatrice d’un Etat central avec la déclinaison à dimension humaine de ce pouvoir au niveau des collectivités de base. Pour que le peuple se réapproprie son destin trace le sillon de son Histoire. Et enfin mais pas le moindre, développer une culture de contre pouvoirs avec un partage efficace des rôles entre des organisations de la société civile lucides et audacieuses, des partis politiques qui ne se confinent pas aux intrigues politiciennes pour quémander les miettes ponctuelles de la confiscation du pouvoir mais qui misent sur le temps historique en éduquant et en formant des citoyens responsables. En bout de chaîne enfin, des institutions républicaines fortes, législatives et  judiciaires surtout, capables d’endiguer tout risque  « d’égocéphalie »  qui fait que les têtes grossissent, tout comme la cupidité et inversement à l’intelligence du réel.

 

Redistribuer les moyens de production et les fruits de la croissance

Madagascar est un pays scandaleusement riche où vit un peuple scandaleusement appauvri. On sait clairement  maintenant que notre sous sol regorge de ressources en tous genres. Ce qui explique aussi en partie toutes les manœuvres souterraines des puissances d’argent. La vigilance est impérative parce que sur le continent africain, ils sont rares, pour ne pas dire inexistants, les pays qui disposent de ressources minières et pétrolières et dont les peuples sont sortis de la misère. L’Etat doit assumer un rôle à double face. D’une part garantir la liberté de tout un chacun, malgache ou étranger,  d’entreprendre pour créer des richesses et  d’en tirer légitimement profit avec le pays.  D’autre part régir la redistribution des fruits de la croissance au nom de l’indiscutable  solidarité nationale, des malgaches comme des étrangers qui ont choisi de créer de la richesse chez nous et avec nous.  Aucun pillage des biens d’autrui n’est excusable mais il faut admettre qu’il arrive un moment où le tsunami de la misère ne peut que déferler sur les oasis d’une opulence devenue outrageusement ostentatoire, donc méprisante et méprisable.  A la crise mondiale qui fait virer la cuti de tous les pays capitalistes nous avons ajouté une crise propre aux sous-développés, celle de l’immaturité républicaine.  Comment  l’Etat malgache  (qui dépend encore de l’argent de ses partenaires techniques et financiers autant pour son fonctionnement que pour investir)  va – t il s’y prendre pour freiner la descente aux enfers de l’économie e t de la société ? Il va falloir trouver autre chose que des incantations. Aucun schéma de sortie de crise ne mènera à la reprise durable de la vie économie si l’Etat et un nouveau mode de gouvernance n’arrivent pas à mobiliser toute l’énergie que chaque malgache a en lui et qu’il ne livrera qu’à une seule condition : qu’il soit assuré de n’être pas une fois de plus le dindon de la farce en regard des rêves et de l’énergie qu’il aura investis. Il va falloir beaucoup d’imagination et de volonté pour revoir le mode de redistribution des moyens de production, de l’accès à la terre, des financements, des savoirs – faire, des marchés, etc. Il faudra pour cela oser la transparence, mettre fin à tous les abus de position dominante et à l’exclusion. Il faudra  trouver quel est  le parcours de réussite que l'on peut proposer au plus grand nombre d’acteurs afin qu’ils  participent  à l'acte d'enrichissement national, au sens le plus large, et d’épanouissement personnel. Madagascar a les atouts pour gagner un tel pari parce que « …Non pas qu'il n'y a pas de route pour en sortir, mais que l'heure est venue d'abandonner toutes les vieilles routes. » (Aimé Césaire). Tous, au fond de nous-mêmes nous savons très bien que nous le pouvons. Mais restons lucides. Associons « le pessimisme de l’intelligence à l’optimisme de la volonté » (Romain Rolland).

 

Tôt ou tard les débats d’experts en textes de toutes sortes auront lieu. Au-delà des mots et des termes savants, ce qui importe c’est de faire clairement comprendre leurs sens à tous les porteurs d’enjeu que sont les citoyens. Redistribuer le savoir…Ensuite faire en sorte qu’autour du sens soit mis en place un dispositif qui le rende inaliénable face à l’instinct de confiscation des malades de l’avoir. L’ère des véritables hommes d’Etat est sans doute arrivée. Que le cadre refondateur de « l’être malgache » soit enfin décolonisé à la veille du cinquantenaire de l’Indépendance de Madagascar  (2010) Que la première des redistributions soit celle de la joie de vivre en paix dans un pays béni des dieux et des ancêtres.  

 

Raint Si.

Publié dans Origine & fondement

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